Sous COMMISSION LITURGIE St Jacques

mardi 16 mars 2010

Le rosier de la Vierge des Hurons (III)

La pluie succédant au soleil et la neige à la pluie, il arriva que, de plus en plus, les pierres qui formaient la base de la niche firent saillie et menacèrent de s'écrouler. Le conseil de fabrique s'émut. Comme vingt ans plus tôt, et dans le même coin de la sacristie, le vieux rosier de la Vierge fut encore condamné et l'on chargea cette fois de l'exécution, le bedeau de la paroisse.

Nazaire Savard, le bedeau, solide gaillard dans la quarantaine, avait fait les cent coups dans les chantiers du Saint-Maurice. Fatigué de la hache et de la drave, il s'était marié aux Trois-Rivières et s'en était venu finir ses jours au sec et au chaud - dans la sacristie de l'Ancienne-Lorette. Il habitait maintenant une maison de bois en face de l'église, et, devant sa porte, sept ou huit petits Savard, tous insécrables comme leur père, se roulaient dans la poussière.

Le soir donc de ce dimanche, le bedeau veilla chez Mathias Gauvin, le fils à défunt Pierre. Sur la galerie remplie de monde, on causa de tout, du temps, du sermon de monsieur le Curé, du prix du foin et des framboises, des morts de la semaine, des baptêmes et surtout du rosier ! Mathias raconta l'aventure arrivée à son père vingt ans auparavant et dont il avait été le témoin oculaire.

- Et il a été trop cheniqueux pour remonter, ton père ?... demanda insolemment Savard... Moi ! ça ne m'aurait pas empêché !...
- J'ai toujours cru que la Sainte Vierge ne voulait pas, répondit Mathias. Mon défunt père a grimpé sur l'église bien des fois avant et après cette journée-là, et il ne lui est jamais rien arrivé. Fais attention, Savard !... Faut pas jouer avec ces affaires-là !...
- Je voudrais bien voir celui qui m'empêcherait d'ébrancher les murs de mon église !... Quand on a grimpé dans le fin bout des pins de la rivière Galeuse, les enfants, quand on a voyagé sur les cages pendant vingt ans, en faut plus que ça pour nous faire peur !...
- Fais comme tu voudras, mais moi, je laisserais la Sainte Vierge avoir soin de son église !
- Je vous invite toutes à venir voir ça demain soir !
La curiosité, décidément piquée, amena le lendemain soir tout le village de l'Ancienne-Lorette sur le perron de l'église.

À six heures, Savard sortit de la maison pour sonner l'Angélus. Comme on le regardait il affecta plus de pose que d'habitude, fit montre de ses muscles !... Puis il sortit un gros rouleau de corde de dessous l'escalier du jubé. Personne ne s'offrit pour l'aider. L'histoire de Pierre Gauvin s'était répétée de bouche en bouche et nul ne semblait disposé à se risquer à cette besogne.

Au bout d'un instant la tête carrée de Savard parut dans la fenêtre du clocher et la corde se déroula sur la façade.
- Elle ne cassera pas, celle-là, cria-t-il en ricanant à Mathias Gauvin qui fumait, appuyé sur la clôture du presbytère. Puis, bravache, les manches retroussées pour corser son effet, il empoigna la corde, se suspendit dans le vide, glissant lentement jusqu'à ce que son pied atteignît le demi-noeud préparé d'avance pour le soutenir. Il se trouvait à ce moment presque face à face avec la Madone des Hurons. Malgré l'heure, le vent n'était pas encore tombé et le rosier tremblait de toutes ses feuilles.

Cette fois, c'en est bien fini du pauvre arbuste dont toute la vie n'a été qu'hommage discret, longue caresse et délicat parfum ; il semble bien que la Vierge l'abandonne à l'inévitable !... Savard se retourne pour faire aux spectateurs un salut ironique... Un couteau brille dans sa main libre !... Il va frapper !... Mais la Vierge n'a pas dit son dernier mot ! Attendez ! Le bras qui menaçait reste levé : un cri perçant parti de la rue, est monté dans le silence :
- Au feu !...
Tous les yeux se détournent et voient avec horreur d'épaisses torsades de fumée noire sortir obliquement des fenêtres de la maison du bedeau, puis un jet de flamme aigu crever la couverture et s'élancer vers le ciel !...

Savard s'est laissé choir le long de la corde. Un instant il reste là, stupide, puis il s'élance à travers les villageois atterrés et se rue dans la maison. Déjà sa femme l'y a précédé et au bout d'une demi-minute on la voit paraître avec un bébé dans les bras et s'affaisser au milieu des spectateurs.

Que faire pour parer au désastre ?... Trop bien nourrie la flamme, déjà maîtresse, se moque des quelques seaux d'eau qu'on lui jette... pour faire quelque chose... Au bout d'une heure, il ne restait de la maison du bedeau qu'un amas de cendres fumantes !

En haut, dans sa niche, la Vierge des Hurons, les deux doigts levés, montrait toujours le ciel.
Frère Marie-Victorin (Conrad Kirouac, 1885-1944)
Récits laurentiens, Québec

Je vous salue, Marie pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort.
Amen.




16/03/2010
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